Visions 91 — Panya Clark
This introduction to Panya Clark’s work by conservatrice invitée Sylvie Parent appeared in the catalogue Visions 91, published by Centre international d’art contemporain de Montréal.
En entrant dans la salle, le visiteur remarque un magazine ouvert déposé sur un lutrin. Ce document, une édition du National Géographie, montre l’image du dos scarifié d’une femme de la tribu Nuba. Un texte anthropologique typique accompagne l’image et informe sur les mœurs de la tribu. Une réplique très fidèle du dos scarifié est suspendue à un muret face au spectateur lecteur. Derrière la cloison, une projection de la même image traverse un tissu écran et se pose sur le mur. L’expérience de l’installation de Panya Clark se réalise donc par moments successifs, qui nous amènent à considérer différentes représentations et états de réel d’un même réfèrent. En cela, l’installation s’apparente à certaines oeuvres de l’art conceptuel et plus largement à une tradition artistique du XXe siècle qui consiste à examiner les contextes de documentation et de présentation et leur action sur la signification de l’œuvre d’art. L’art conceptuel a tenté de mettre à nu ces procédés et de faire sentir l’interface entre la chose réelle, sa représentation et sa signification lexicale ou conventionnelle. La structure de Patterns of Commifment affiche le même esprit de démonstration en une série de propositions qui comparent les termes d’incarnation d’une idée à travers diverses structures de langage, comme le faisait la série des One and Three Chairs de Joseph Kosuth, par exemple. Dans l’œuvre de Clark, cependant, nous ne sommes jamais en présence de l’objet réel et c’est précisément cette absence qui devient significative et troublante. La nature du motif amplifie cette impression de perte puisqu’il s’agit du corps, des codes esthétiques et symboliques. Ce dos scarifié fait allusion, en quelque sorte, à l’environnement social et culturel tel qu’il est vécu par l’individu.
La réplique du dos semble répondre à la prétention de cette documentation à nous révéler une réalité qui s’avère inaccessible et vidée de son sens initial. Elle nous fournit une expérience visuelle différente où les propriétés tactiles de l’œuvre nous interpellent avec force. Elle donne du « relief » à un objet qui avait perdu le sien mais cette réplique est celle de l’image du dos et non d’un dos réel. Elle reproduit d’ailleurs sa torsion et signale le cadrage de la photographie. Par ailleurs, un dos réel n’existe pas comme entité détachée du corps et du contexte. La sculpture, bien que très fidèle et en cela fascinante, accentue cette impression de perte d’une réalité et de son sens plutôt qu’elle ne nous en approche. Si elle semble d’abord restituer le réel, sa présence ne fait que surajouter une nouvelle réalité, cette fois tridimensionnelle, avec toute l’efficacité que cela suppose, mais accompagnée de significations propres. La réplique transforme le corps initial en un objet séducteur mais trompeur. Cette fascination s’accompagne d’une curiosité intense et ambivalente face au dos écharpé et encodé.
La projection du même motif à l’arrière de la salle produit une expérience d’un autre ordre. Cette projection de l’autre côté du mur nous laisse penser que l’on pourra accéder à l’envers des choses, à un aspect négligé ou caché au sujet du même réfèrent. Un dispositif motorisé associé à un « éventail » d’acétates posé devant le projecteur diapo altère la netteté de l’image, ce qui lui confère un certain « mouvement de respiration » et, ainsi, une autre réalité, plus insaisissable mais non moins efficace. Le tissu suspendu qui retient l’image fait écran et filtre. Il s’agit d’un tissu orné de motifs floraux et parsemé de petits trous laissant passer la lumière. L’image acquiert une forme d’immatérialité très frappante mais aussi une action nouvelle puisque ce tissu connoté, utilisé dans la décoration ou la fabrication de vêtements, nous relie à notre propre culture. Les affinités entre la peau (du dos scarifié) et le tissu sont troublantes puisque le pattern et les trous du tissu nous rappellent les pores de la peau. Cette allusion ramène à notre culture et à l’inscription de sa réalité sur des supports, des surfaces qui sont des doublets de la peau. Il est possible pour le spectateur de recevoir à son tour l’impression de ce pcittern s’il s’insère entre le rideau et le mur. Il prend ainsi conscience de sa propre surface comme projection sociale de son identité. Il expérimente aussi un déplacement de son identité puisque son propre corps est relié à l’image de cette femme Nuba.
L’installation nous fait constater que la séduction de l’image ne nous garantit en rien l’accès aux réalités lointaines. En effet, l’œuvre nous fait sentir toute l’exclusion du contexte qui définit l’objet, et par le fait même l’inefficacité des représentations qui prétendent le remplacer. Face à une impression de perte de réalité générée par toutes les médiations, face à l’abondance d’images détournées par les diverses sources d’information, le travail de Clark porte à penser que toute réalité ne peut être perçue que par une implication directe du spectateur affecté par son propre contexte.
Sylvie Parent
© 1991 Sylvie Parent and Centre international d’art contemporain de Montréal